Fermer les yeux ... Fermer les yeux, cesser de respirer et compter jusqu'à trente. C'est ce que je fais encore et encore, pour tenter de me réveiller de ce cauchemar. Mais rien n'y fait ... Parce que ça n'en n'est pas un. Quand je rouvre les yeux, je suis toujours plongé dans le chaos. Les bombes tombent et explosent. Les coups de feu se font entendre en rafales, encore et encore. Les soldats hurlent, tombent, se vident de leur sang, meurent ... Et moi je suis là, accroché à mon arme, planqué derrière un abris de fortune avec quelques membres de mon équipe. On va crever et on peut rien y faire. On va juste ... Crever et pourrir ici. Ma vie défile devant mes yeux ... Je me souviens ...

J'étais un gosse parmi tant d'autres, dans une école parmi tant d'autres. Quatrième fils d'une fratrie de cinq enfants dont une seule fille. On était pauvres et on faisait avec les moyens du bord. Mon père était rien qu'un foutu garde chasse. Censé faire respecter les lois de la chance dans notre petit bled paumé du sud des Etat-Unis, il était pourtant le premier à braconner. On lui pardonnera parce qu'on était pauvre et qu'il devait nourrir ses mioches. Et pis il allait pas s'arrêter lui même ou une connerie du genre. Vous imaginez comment il aurait eut l'air con ? Mais bon ... Ramener deux trois gibiers par ci par là, ça n'a pas non plus fait de sacrés miracles. C'est pas ça qui faisait rentrer de l'argent dans les caisses en tout cas. Du coup, quand l'un de mes frères est tombé gravement malade, mes parents n'avaient pas la couverture sociale adéquate, pour le sauver. A l'hôpital, ils ont refusés de le soigner. Mes parents se sont endettés pour Charlie qu'il s'appelait. Malheureusement, la maladie l'a fauché deux ans plus tard. J'avais dix ans et j'étais le plus jeune. L'un de mes frères a tellement mal vécut ça, qu'il s'est suicidé. Et ma soeur a tenté de faire pareil en avalant une boite de cachets. Un lavage d'estomac plus tard, elle était remise sur pieds. Vous y croyez vous ? Putain quel merdier, j'vous dis pas. Mes parents étaient en panique et ne savaient plus quoi faire. Mon père a sombré dans l'alcool, nez le premier. Il rentrait à la maison totalement déchiré, ma mère pleurait et lui demandait de se ressaisir et de sauver le reste de notre famille. Vous pensez bien qu'il a fait la sourde oreille. Mais n'allez pas imaginer qu'il s'est mit à battre ma mère. Non pas ça ... Mais il s'est tué un soir en rentrant à la maison. Il était ivre mort évidemment. Sa voiture a fini dans le décors. Fin débile pour un crétin qui n'aura jamais su redresser sa famille. Et croyez le ou non, mais ma mère s'est remariée trois mois après la mort de son précédent époux. Elle aurait sans doute du mieux choisir son mari quand même ... Parce qu'elle a prit un gars tout aussi pauvre que le précédent et tout aussi accro à la bouteille. Il lui a fait trois filles durant les années suivantes. Mais c'est pas à ce moment là de ma vie alors on en reparlera plus tard. A l'époque, ma soeur était devenue une traînée qui s'achetait des drogues plus ou moins dures, avec l'argent qu'elle se faisait avec quelques passes par ci par là. On la voyait de moins en moins chez nous. Et avec mes frères, on était chargés d'ramener de la viande directement de la forêt. C'est comme ça d'ailleurs, que j'ai appris à tirer. Et j'étais un sacré bon tireur, il faut bien le dire ! Et c'est grâce à mes frères. Ah non mais ne vous imaginez pas je ne sais trop quoi .. Ils ne m'ont pas aidé comme de bons gentils grands frères, qu'ils étaient. Ah non pas du tout ! C'est plutôt parce qu'ils me descendaient plus bas que terre et qu'ils semblaient prendre un malin plaisir à me faire entendre combien j'étais inutile et stupide, que j'ai appris à tirer. En fait, j'ai passé toute ma vie à vouloir épater ma famille. J'ai passé toute mon adolescence à vouloir leur prouver que j'étais aussi fort et aussi doué qu'eux, dans tous les domaines. Mais ce fut en vain apparemment. Et c'était assez ennuyeux tout de même. Mais croyez le ou non, on s'y fait à ces conneries. J'voulais qu'ils me remarquent et me considèrent comme étant leur digne petit frère, qui prenait exemple sur ses aînés. Mais ... Merde, rien n'a changé. Fait chier ! Alors j'me suis contenté de tout faire pour les épater, tout en étant conscient du fait que rien ne changerait jamais ...



Je croise son regard, on n'a pas besoin de parler pour se comprendre. L'un comme l'autre, on sait que c'est la mort qui nous attend et qui va venir nous faucher, d'une minute à l'autre. L'angoisse, la terreur, la peur sont visibles dans nos yeux, dans nos regards qui s'accrochent les uns aux autres. On est tous là à attendre qu'une bombe vienne nous exploser en pleine gueule ou qu'une balle nous atteigne enfin. Evidemment, on ne va pas se laisser prendre sans combattre. Nous sommes plus courageux et plus forts que ça. Nous lutterons encore et encore, jusqu'au bout, jusqu'à notre dernier souffle. L'un de mes amis se lève après un vague hochement de tête. Il tire par dessus notre abris de fortune ... Mais il ne faut pas trente secondes, avant qu'il ne tombe en arrière. Une balle vient de se loger dans son crâne. Je retiens un hurlement, un cri, un besoin d'extérioriser. Je me contente de me cogner l'arrière du crâne, contre la tôle derrière laquelle on se protège. Je ferme les yeux et tente d'oublier l'instant présent. Celui qui est en train de me voler des amis ... Je me souviens ...



Souvenirs vie conjugale.



Souvenirs actu' de la guerre.



Retour à la vie.



Nouveau soit et divorce.



Installation dans l'immeuble.